Emmanuèle Barraud : plasticienne
Les jeux de lumière ont été très tôt au cœur de ma pratique artistique donnant lieu à de nombreuses mises en scène où très souvent je projette sur des arbres ou sur des façades des portraits en lien avec l’événement d’accueil.
En parallèle je poursuis un travail d’atelier plus intime à l’intérieur duquel je retravaille quelques uns des visages projetés ou encore ce dessin d'enfant que j'interroge depuis plus de vingt ans déjà.
Les changements d’échelle, l’importance du décor dans le rapport fond/forme et la présentation en série de ces portraits sont autant de sources de questionnement qui interroge le visage et son rapport à l’individu qu’il représente.
«Si le jour paraît ; allons-nous en...» est une installation plastique qui a pris forme en 2000 et a été diffusée dans le cadre de divers festivals.
Souvent accompagnée par une danseuse et un musicien, cette installation poétique de proximité constituée de boites à l’intérieur desquelles évolue tout un dispositif d’ombres animées par des bougies a pris récemment une forme de diffusion plus technique (vidéo projection).
"L’art de la persistance" de Pascal Piet (cliquez pour voir le texte)
Emmanuèle apparait. On se connait à peine mais on se reconnait. Dans ma mémoire, c’est un visage qui persiste. De façon un peu étrange, cette impression me relie à son travail.
C’est d’abord une série intitulée « Photo de classe », au centre et à l’origine de laquelle il y a un dessin d’enfant, un visage dense, aux airs de masque africain. Ce dessin n’est pas le sien, mais Emmanuèle l’adopte et l’enveloppe de son art. Elle l’illumine et l’enlumine. Elle le décore et le décline. De ce dessin primitif, on pressent qu’elle tire milles variations comme autant d’épreuves. Elle le duplique pour en dégager l’unité. Elle l’estompe pour en dévoiler la puissance. Elle le pousse dans ses retranchements pour en éprouver la résistance. Et comme si cela ne suffisait pas, elle multiplie les techniques autant que le motif : peinture, sculpture, gravure, impression, etc. Quand on sonde l’artiste sur le sens de cette douce obsession, on croit retenir ceci : conjuguer le singulier et le pluriel. Des mots qui font écho, comme par hasard, au temps de la grammaire et des cahiers d’écolier…
Souvent, Emmanuèle emprunte à d’autres les images qui sont au cœur de son travail. Comme s’il fallait que l’impulsion initiale soit partagée, qu’elle procède d’une admiration, d’une relation. C’est par exemple une « Pieta » de Jean-Baptiste Carpeaux, ou cette étreinte entre « Frère et sœur », dont elle projette l’image, la nuit venue, sur une frondaison bruissante. C’est la douleur de « La femme qui pleure » de Picasso, dont elle enrobe la géométrie d’une façade. Ce sont des portraits de Camille Claudel. Souvent des visages. Mais pas seulement. Au détour de son œuvre, on découvre aussi des photos d’animaux, jetées sur de grandes toiles, qu’elle rehausse à coups de pinceau et reprend à l’aiguille.
On touche ici à un aspect important du travail d’Emmanuèle Barraud : son rapport au support. Ce besoin, quand il ne s’agit pas d’éphémères projections, de laisser son empreinte, d’imprimer sa marque. Littéralement. D’un voyage en Inde, elle ne rapporte pas seulement des impressions, mais aussi le moyen de les reproduire. Il s’agira par exemple de tampons en bois sculpté utilisés jadis pour imprimer les tissus. Ou encore de rouleaux anciens qui servaient à imprimer des motifs sur les murs. On sent chez Emmanuèle le souci de mettre de l’ouvrage dans son œuvre, de faire converger peinture et papier peint, de croiser l’aiguille et le pinceau. Ce à quoi elle parvient avec une minutie peu ordinaire, donnant la forte impression de ne jamais renoncer à la simple beauté des choses.
A ce point, parce que les mots ont parfois leur malice, on s’interroge sur le lien chez Emmanuèle entre ce désir d’emprunt et ce goût de l’empreinte. On se demande si, au fond, il ne faudrait pas retrancher ce qu’elle montre pour saisir ce qu’elle cache. Car si Emmanuèle Barraud emprunte souvent ses motifs, il ne semble pas qu’elle cherche à se les « approprier ». Plutôt que d’appropriation, on aurait envie de parler de « subtilisation », si ce mot pouvait aussi désigner le fait de rendre subtil.
Et puis il y a cette pièce, cette installation, comment la qualifier ?, qui ne rentre dans aucune case, mais qui les réunit toutes. Elle s’intitule « Si le jour parait, allons-nous en… » / Debout les morts ! Cette pièce, Emmanuèle l’a conçue après la mort de son père. Elle met en scène des créatures squelettiques et poétiques, faites d’os et de fil de fer, qui s’animent et se projettent en ombres chinoises sous l’effet de bougies disposées en leur sein. On les découvre apparaissant la nuit derrière les fenêtres d’une façade ou bien restituées sous la forme de projections sonorisées. Ce qui frappe dans ce dispositif, c’est le rapport entre sa puissance d’évocation, sa force symbolique, et la modestie des moyens mis en œuvre. On s’étonne que de l’alliance de quelques bouts d’os, de fil de fer et de simples bougies puisse surgir une telle fantasmagorie. Et puis on se dit que là réside le secret de l’artiste. Cette façon subtile de sublimer et de sauver ce qui peut l’être. Un art de la persistance.
Pascal Piet – Le 12/12/2016
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